Brothers In Arms (Dire Straits)

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Première émotion musicale.. avec un CD..

J'évoque dans d'autres articles et podcasts les différences, et parfois la guéguerre, le débat d'experts dirons-nous, entre le vinyle et le CD...

Toute proportion gardée mais de façon imagée, c'est un peu comme le passage du fax à internet...: après des milliers de vinyles posés inlassablement sur les platines durant plusieurs années, voici soudainement une nouvelle technologie que nous touchions; ce fut le tout premier album de ma vie que j'ai eu dans mes mains en version CD ! ex-aequo avec Songs from a big chair  de Tears for Fears.

Nous étions en Mai 1985, le printemps pointait vraiment son né, et grâce à un partenariat entre la FNAC et la radio FM pour laquelle je travaillais, chaque semaine nous repartions d'une séance d'écoute et d'échanges avec les disquaires du magasin de la rue de la république à Lyon, avec sous le bras les meilleures sorties de la semaine.

Les CD étaient encore bien rares, et c'était un privilège que de se voir confier un CD.. privilège aussi car nous étions à la radio équipés de 2 platines CD qui coutaient à l'époque une petite fortune.

L'écoute de cet album en version CD fut une révélation; non seulement nous étions libérés des craquements inhérents au vinyle, mais les silences au sein des titres étaient pour la première fois bien identifiables; chaque instrument semblait se libérer du tronc commun, avec une dynamique jamais entendue alors, et que dire de la qualité sonore, mais aussi évidemment du talent de Mark Knopfler, de l'écart acoustique et de l'écart de travail et de talent musical, face au déferlement du disco italien et allemand dont nous étions les victimes dans les années 80. Entre les boîtes à rythme et la médiocrité commerciale de Tarzan Boy et Brother Louie, les adeptes des synthés à outrance de Sigue Sigue Sputnik, les sachants vantaient la mort à venir de la quitare électrique, alors que les discothèques vivaient leur âge d'or sur une soupe rythmée.  

Et soudainement sortait en ce mois de mai 1985 Brothers in Arms et le jeu de guitare si caractéristique en finger picking de Mark Knopfler, les vibrations naturelles de la grosse caisse et des cordes de la basse.       

Ce choc musical nous a rendus conscients que nous avions une galette dans les mains minuscule face aux 33 tours, mais quelle bombe, dont nous avions musicalement besoin (Sabrina et Boys Boys Boys nous attendaient au prochain virage cependant...).

C'est ainsi qu'à grand renfort de publicité quotidienne sur 1/4 de page dans le journal régional, nous décidions de partager avec nos auditeurs un album génial, et donc de le diffuser à l'antenne le soir même de sa sortie officielle, sans pub, sans intervention d'un animateur, dans les conditions du CD : les blancs entre les titres (avec un petit jingle de temps en temps cela dit pour laisser une trace sur les K7 des auditeurs et éviter la profusion de K7 pirates sur les marchés..). 

Cela nous attira les foudres de la maison de disque, car nous avions donné aux auditeurs qui évidemment avaient sans doute tous le doigt sur la gachette du magnéto K7, l'opportunité unique de disposer gratuitement de l'album entier avant même les premières heures de sa commercialisation.

Là ou à l'époque nous écoutions l'album dans son intégralité, avec la cohérence de la succession des chansons, le streaming aujourd'hui ne permet plus de se plonger dans le travail des artistes. C'est comme si nous entamions un livre depuis le milieu, sans en comprendre l'histoire puisque nous n'avons pas lu les  premiers chapitres, et ne lirons pas les suivants... entre l'émotion musicale et le zapping, il faut choisir..  Aurions-nous le même plaisir et ressentirions-nous la même intensité en déboulant dans un concert au moment du rappel uniquement ? 

Bref..venons-en au contenu de l'album..

Avec plus de 30 millions d'exemplaires vendus dans le monde, Brothers in Arms est l'un des albums les plus vendus de l'histoire. Il a marqué un tournant pour Dire Straits, propulsant le groupe au rang de superstars internationales.  

Comme évoqué ci-dessus, Brothers in Arms est l'un des premiers albums à être enregistré et mixé entièrement en numérique, ce qui a contribué à sa qualité sonore exceptionnelle. Dire Straits a utilisé une console Sony 24 pistes numérique, permettant une clarté sonore et une précision qui étaient rares à cette époque.  

L'album a été enregistré dans les célèbres studios AIR Montserrat, situés sur une île des Caraïbes. Ce lieu, connu pour son cadre paradisiaque, a également accueilli d'autres artistes comme Elton John et The Police (malheureusement, les studios ont été détruits par un ouragan en 1989). Ce cadre paradisiaque a permis de créer une ambiance détendue pour l’enregistrement, mais cela n'a pas empêché le travail intense et méticuleux mené par Knopfler.  

Knopfler, en tant que leader du groupe et perfectionniste avéré, a supervisé chaque détail. Il cherchait constamment à affiner les arrangements, les textures sonores et les performances, parfois au point de refaire plusieurs prises jusqu’à ce qu’il obtienne le son parfait. 

 

Le style de jeu de Knopfler, en picking plutôt qu'avec un médiator, a marqué l'album. Les solos de guitare, notamment dans Sultans of Swing et Brothers in Arms, sont souvent considérés comme parmi les meilleurs jamais enregistrés.  

Mark Knopfler a joué un rôle central, mais chaque membre du groupe a évidemment apporté sa touche. Alan Clark (claviers) a grandement contribué à la richesse des arrangements, et Terry Williams (batteur), a été remplacé sur certains morceaux par Omar Hakim (ancien de Weather Report) pour avoir une plus grande précision rythmique.  

Les sessions d’enregistrement se déroulaient souvent tard dans la nuit, ce qui ajoutait une atmosphère particulière à l'album. Knopfler trouvait que travailler la nuit aidait à capter une certaine intimité et un climat émotionnel propice aux morceaux comme Brothers in Arms.  

Bien que les équipements numériques aient offert une qualité sonore exceptionnelle, ils étaient encore nouveaux et parfois capricieux. Le groupe et les ingénieurs ont dû faire preuve d'inventivité pour surmonter les obstacles techniques.  

Le mixage final, réalisé par Neil Dorfsman à Londres, a duré plusieurs semaines. Il a permis d’équilibrer la clarté des instruments et de mettre en avant le style distinctif de la guitare de Knopfler, tout en maintenant la richesse des arrangements.  

Tout ce travail a abouti à un album qui est non seulement techniquement impressionnant, mais aussi profondément émotionnel et intemporel. Brothers in Arms est devenu un modèle d'excellence dans la production musicale et a influencé de nombreux artistes et ingénieurs du son par la suite.

L’album contient neuf chansons :  

- So Far Away  (5:12; chanson douce et mélodique sur la distance et la solitude, très populaire à la radio). 

- Money for Nothing (8:26; titre phare de l'album, avec son riff de guitare légendaire et la participation de Sting pour la phrase "I want my MTV". La chanson critique l'industrie musicale et les perceptions des artistes célèbres. Voir ci-dessous..)

- Walk of Life (4:12; ce titre rend hommage aux musiciens de rue et à l'esprit du rock 'n' roll).

- Your Latest Trick (6:33; chanson jazzy et mélancolique, marquée par un solo de saxophone mémorable. Elle explore les thèmes de l’amour et du désenchantement  

- Why Worry (8:31; ballade apaisante et introspective, avec une atmosphère rêveuse. Elle transmet un message de réconfort et d’espoir).  

- Ride Across the River (6:58; chanson aux accents reggae et world music, avec des paroles évoquant la guerre et l'aventure).  

- The Man’s Too Strong (4:40; morceau acoustique et intense, abordant des thèmes comme la culpabilité, la religion et la rébellion contre l'autorité).  

- One World (3:40; chanson funky et rythmée qui parle d’unité et de connectivité mondiale).  

- Brothers in Arms (6:55; la chanson-titre, épique et émouvante, qui explore les thèmes de la guerre et de la fraternité).  

Le single Brothers in Arms

La chanson a été écrite par Mark Knopfler pendant la guerre des Malouines en 1982, un conflit entre le Royaume-Uni et l'Argentine pour le contrôle des îles Malouiles. Bien que Knopfler ne fasse pas directement référence à cet événement dans les paroles, le climat de guerre et la perte de vies humaines ont influencé son écriture.

La chanson explore les thèmes universels de la guerre, de la camaraderie, du sacrifice et de la tragédie humaine.  Les paroles reflètent une profonde tristesse face à la futilité des conflits armés. Knopfler adopte le point de vue d’un soldat mourant sur le champ de bataille, qui s’adresse à ses frères d’armes. Ce choix donne un ton intime et poignant à la chanson, capturant à la fois la douleur de la séparation et le lien indéfectible entre les soldats.  

Le single Brothers in Arms est rapidement devenu un hymne pacifiste, souvent utilisé lors d'événements commémoratifs ou liés à des causes humanitaires. Il a été interprété lors de nombreux concerts caritatifs, y compris lors du Live Aid en 1985.

Musicalement, Brothers in Arms est caractérisé par une atmosphère douce et sombre, renforcée par le jeu de guitare unique de Knopfler. Son utilisation de la réverbération donne une impression de vastitude, évoquant des paysages désertiques ou des champs de bataille silencieux. Le solo de guitare, lent et expressif, est souvent considéré comme l’un des plus beaux de la carrière de Knopfler.  

Money for Nothing

C'est l'un des titres les plus emblématiques de l'album. Son riff de guitare puissant, ses paroles ironiques et son clip révolutionnaire ont marqué les années 80.

Money for Nothing est plus qu'une chanson accrocheuse : c'est un regard satirique et intelligent sur les perceptions du succès et les inégalités dans l'industrie musicale, raconté avec l’humour caractéristique de Knopfler.

Mark Knopfler a eu l'idée de Money for Nothing après avoir écouté une conversation dans un grand magasin d'électroménager entre des employés du magasin. En observant l'un d'entre eux se plaindre des musiciens célèbres et de leur vie facile, Knopfler a noté ses propos presque mot pour mot.

En regardant les nombreux écrans TV présents dans le magasin, sur lesquels MTV était diffusé, l'employé a dit "That ain't working. That’s the way you do it. Money for nothing and your chicks for free."  Knopfler a trouvé cette vision du succès sarcastique et l'a transformée en une critique sociale sur les stéréotypes liés aux célébrités et à l'industrie musicale.  

Le riff de guitare, devenu iconique, est inspiré par le son de ZZ Top que Knopfler admirait. Il a voulu recréer une texture similaire, combinant simplicité et efficacité. La distorsion distincte du riff provient de l'utilisation d'une Gibson Les Paul Standard jouée sur un ampli Laney, capturant un son brut et percutant.

Certaines paroles ont été controversées, notamment un terme (faggot) considéré comme offensant à notre époque actuelle, utilisé par le salarié du magasin observé par Knopfler. Ce mot, bien qu'intentionnellement ironique et représentatif du point de vue d’un personnage fictif, a suscité des critiques. Dans certaines rééditions et performances live, ce passage a été modifié ou omis pour éviter d'offenser.  

Le clip de Money for Nothing, avec son animation générée par ordinateur novatrice pour l’époque, a été un véritable phénomène sur MTV. Les personnages en 3D, représentant des ouvriers, ont contribué au succès de la chanson sur MTV, rendant ce média encore plus incontournable pour promouvoir la musique à l'époque.  

Sting, ex-chanteur de The Police, a été invité à collaborer sur la chanson. Il a improvisé la phrase I want my MTV sur la mélodie de Don't Stand So Close to Me de The Police. En raison de cette ressemblance mélodique et de sa contribution vocale, Sting a été crédité comme co-auteur de la chanson aux côtés de Mark Knopfler et perçoit de fait une part des royalties générées par la chanson. 

Walk Of Life

Mark Knopfler a écrit Walk of Life comme une célébration des racines du rock 'n' roll. La chanson raconte l’histoire de Johnny, un musicien de rue jouant des classiques et chantant pour divertir les passants. À travers ce personnage fictif, Knopfler rend hommage aux musiciens qui partagent leur passion, parfois dans l’ombre de l’industrie musicale commerciale.

Les références à des chansons mythiques comme Be-Bop-A-Lula (Gene Vincent, 1956) ou What’d I Say (Ray Charles, 1959) témoignent de l’amour de Knopfler pour la musique des années 1950 et 1960.  

Contrairement aux autres morceaux plus introspectifs de Brothers in Arms, Walk of Life se distingue par son optimisme et son énergie. La mélodie entraînante, dominée par les claviers d’Alan Clark, évoque une ambiance de fête. Le riff d’orgue Hammond est immédiatement reconnaissable et donne à la chanson une texture unique, combinant nostalgie et fraîcheur.  

Pourtant, Walk of Life a failli ne pas apparaître sur l’album. Pendant l’enregistrement aux studios AIR Montserrat, certains membres de l’équipe pensaient que la chanson n’était pas à la hauteur des autres morceaux plus sérieux ou complexes de l'album. Ce fût l'avis également de Neil Dorfsman le coproducteur. Mais grâce à son attrait universel et son potentiel de tube, elle a été retenue et est finalement devenue l’un des morceaux les plus populaires de Dire Straits et un incontournable de leurs concerts.  

Your Latest Trick

La chanson est une ballade mélancolique et jazzy qui s’est rapidement imposée comme l’un des titres les plus distinctifs du groupe. Avec son ambiance nocturne et son solo de saxophone inoubliable, elle raconte une histoire empreinte de nostalgie et de désillusion. 

Les paroles explorent les thèmes de l’amour, de la trahison et du désenchantement. Mark Knopfler y décrit une relation qui s’effrite, empreinte de manipulations émotionnelles et d’un sentiment de lassitude. La phrase "Your latest trick" (littéralement, "ton dernier tour") suggère que le narrateur est fatigué des jeux de manipulation et des subterfuges de son partenaire. C’est une réflexion sur les relations humaines et la manière dont elles peuvent devenir complexes ou même toxiques.  

Le solo de saxophone, joué par Michael Brecker, est l’élément le plus marquant de la chanson. Knopfler a voulu que Your Latest Trick ait une ambiance nocturne, rappelant les ballades de jazz classique. Brecker, a apporté une texture unique au morceau. Le solo d’ouverture, mélodieux et émouvant, est souvent cité comme l’un des meilleurs moments musicaux de l’album. L’utilisation de la trompette bouchée et des arrangements subtils accentue encore davantage l’atmosphère élégante et intime du morceau.  

Bien que Your Latest Trick n’ait pas été un énorme succès commercial, elle est devenue un classique pour les fans du groupe. Sa sophistication musicale et ses paroles poignantes lui ont valu une place particulière dans le répertoire de Dire Straits. La chanson a également été un moment fort des concerts du groupe, où le solo de saxophone était souvent prolongé pour captiver le public.